Si nous avions déjà apprécié quelques moments auprès de cette institution, nos expériences passées du Pitchfork Paris auraient dû allumer une petite lumière d’alerte sur l’édition de cette année. Notre arrivée a été quelque peu mouvementée dans l’enceinte du festival jeudi dernier. Citons en premier lieu les vigiles du contrôle peu aimables à l’excès de zèle exaspérant, et en second lieu une population impressionnante, peu soucieuse de passer un bon moment en musique, un comble pour un festival de cette envergure. Retour sur trois soirées en dents de scie, brillant par quelques fulgurances et blessant par d’étranges erreurs de casting.
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Nous avons frayé chemin vers DESTROYER, groupe plutôt encensé depuis quelques mois. Peu à voir avec THE NEW PORNOGRAPHERS, autre formation menée par le canadien Dan Bejar ; d’ailleurs nous n’y trouvons guère de quoi détruire quoi que ce soit. Si la section violon/violoncelle/cuivre se révèle du plus bel effet, notre opinion reste placide quant au rendu live de cette formation dans une grande Halle impersonnelle déjà surpeuplée.
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Le set suivant, assuré par ARIEL PINK, a commencé à nous énerver un petit peu. Beaucoup de spectateurs avaient pourtant la mine réjouie, mais quelque chose nous a échappé… En tout cas certainement pas le clavier qui passe sa main gauche sous l’aisselle droite, mimant un « Pouêt Pouêt », la musique évoquant occasionnellement la danse des canards, braguette coincée en position délicate en prime. Sérieusement les gars ! On entend une jeune fille s’exclamer « Mais c’est génial ! », tandis que nous nous passons la main sur le front, atterré devant cette supercherie éhontée.
Si on en croit le temps de passage qui leur est attribué, soit 1h25, GODSPEED YOU! BLACK EMPEROR font figure de tête d’affiche ce soir. La belle prestation des montréalais, d’abord très lente à monter mais sans temps mort, prend une consistance assez excitante, malheureusement nous ne décollons vraiment qu’en toute fin de set, et donc de loin.
Car nous nous sommes déjà approchés de la Green Stage pour DEERHUNTER. La sono, correcte sans plus, sert une setlist essentiellement issue des LP « Halcyon Digest » (2010) et du tout récemment sorti « Fading Frontiers ». Impeccable mais assez froide interprétation des morceaux ; il semble qu’ils aient perçu quelques ondes de blogueuse mode les irradier par instants, ou n’aient pas saisi toutes les subtilités du pogo à slam (car oui, votre serviteur y a reçu quelques coups de coude plus violents qu’au concert de METZ quelques jours plus tôt, allez comprendre). Le final tout en langueur d’« Helicopter » a constitué l’occasion pour le public de balancer de la chaussure sur scène, de joie dirons-nous. La sécurité intervient avec véhémence, ce à quoi Bradford Cox ne peut s’empêcher de réagir, avec humour, classe et intelligence, assurant qu’il n’a pas besoin de chaussure mais remercie le public de s’en inquiéter ! Il présente également, avant de quitter la scène, toute sa gratitude pour avoir pu jouer ici ce soir ; mais s’il restait objectivement quelques minutes pour que le groupe se produise, le rappel imploré restera décliné.
Retour forcé à la Pink Stage au fond de la Halle, pour les attendus BEACH HOUSE. Dommage que la soirée n’ait pas jusque-là assouvi notre faim, dommage qu’on ait senti le temps s’écouler et qu’il soit déjà tard, dommage que le monde grouillant donne si peu envie de le traverser, dommage que le début de set de BEACH HOUSE ait été si peu convaincant. Car nous avons ouï dire que la deuxième partie était superbe. Désormais à 4 sur scène, le combo de Batlimore ne nous a pas retenu bien longtemps et nous le regrettons. En sortant, nous croisons un vigile qui nous souhaite bonne soirée, poli et avec le sourire…
Le lendemain, nous arrivons à La Villette sans nous presser. En fond sonore, l’insipide concert de RHYE se termine dans le calme de l’autre côté de la Grande Halle, alors que nous nous postons devant pour profiter pleinement de KURT VILE AND THE VIOLATORS. Entré en scène avec une allure d’ado nonchalant, le petit prodige démarre sur l’un de ses classiques, « Jesus Fever », histoire de faire décoller son audience en douceur. Il la joue tranquille planqué derrière ses longs cheveux soyeux, alors qu’on remue la tête sur les nouveaux titres (mention à la ballade « Dust Bunnies », la génialissime « Pretty Pimpin » ou le banjo de « I’m an Outlaw »). On ne peut que s’agenouiller devant le génie et la simplicité de son songwriting aux accents folk et rock classique US ; l’immense « Wakin on a Pretty Day » se charge bien de le rappeler. Et même si ce concert, plus électrique que ce que nous avions déjà vu, manquait un peu de souffle, en une dizaine de titres, l’américain nous aura plus que conquis. Ses airs traînent encore dans nos têtes au point qu’on s’impatiente déjà son prochain passage…
Entre les deux pointures de cette deuxième soirée, nous avons assisté au concert de BATTLES de loin, mais non sans un très grand plaisir. Le trio new-yorkais se révèle d’une putain de puissance sur scène ! Il suffit d’admirer le batteur John Stanier frapper comme une brute à donner le change à ses comparses ; et leurs morceaux devenir de monstrueux mutants qui déversent toute leur intensité alentours. Avec leurs structures barrées, proches du math rock et dont ils cherchent pourtant à se sortir, BATTLES assoient leur réputation de groupe incontournable en live et donnent à la soirée le coup de punch dont elle avait grandement besoin.
Revenons quelques mois plus tôt, lorsque BJÖRK annulait sa venue au festival : dans la foulée, l’organisation nous dénichait un THOM YORKE en solo pour reprendre le flambeau de la grosse tête d’affiche. S’il apparait comme une évidence pour beaucoup, nombreux autres s’avouent laissés sur le carreau par ses explorations électroniques. Venu ce soir sous l’égide de son projet « Tomorrow’s Modern Boxes », mini LP sorti l’an dernier, on craignait de Thom Yorke une sorte de DJ set un peu désincarné, mais il n’en fut rien. Accompagné du fidèle Nigel Godrich et d’un troisième renfort, le set de Yorke ne tirera pas vers l’abstraction totale, mais plutôt vers un intelligent mix brassant aussi bien les compos froides à celles plus emballantes de l’album « The Eraser » ou d’ATOMS FOR PEACE. Bien aidé par de belles animations graphiques sur écrans géants, Thom Yorke passera moins de temps derrière sa platine que sur le devant de scène, alternant boucles de guitare, danses frénétiques et passage derrière le micro. Évidemment, lorsqu’on reconnaît un « Black Swan » ou autre « Amok » dans le set, on jubile de retrouver ces titres arrangés avec plus d’abstraction. Les autres élans plus électro forment un tout assez cohérent et prenant par sa dimension hypnotique. Le public de fans demandera d’ailleurs un petit rappel à l’issue de l’heure de ce concert, signe que l‘anglais, même perché haut dans son monde, réussit toujours à séduire quelques incurables fidèles. L’heure pour nous de rentrer sur cette note…
Samedi après-midi, nous arrivons pour revoir les routières que sont les quatre madrilènes de HINDS. Fortes d’une tournée colossale cette année (voici leur 3ème passage parisien depuis janvier), c’est avec gratitude et toujours autant d’entrain que Carlotta, Ana, Ade et Amber nous proposent une pépite de bonne humeur. Si le temps leur est compté (35 minutes à peine), tant la setlist que les intermèdes parlés raviront fans et visiteurs occasionnels ici présents. Ana García Perrote a d’ailleurs désormais un français bluffant, et remerciera Curtis Harding pour lui avoir gentiment prêté, dans l’urgence, une pièce pour sa tête de guitare… Si musicalement on peut (encore) leur reprocher quelques approximations, leur excellente humeur reste définitivement leur carte maitresse, faisant de leurs concerts un enchantement à l’écoute comme visuellement. Le final entêtant sur « Davey Crockett », hurlé en chœur par un fan juste derrière nous, résonne encore comme un bel hymne à la dopamine.
Le jeune CURTIS HARDING et son grimage d’Halloween nous ont bien surpris. Pas question d’effet de mode ; plutôt une sincère, touchante et bienvenue humilité. Les sonorités évoquent immanquablement des atmosphères seventies, semblent braquées aux meilleurs passages des films de Tarantino. Ça danse, ça kiffe dans le public, et notre foi en cette audience reprend presque forme. Même les nanas de HINDS, absorbées au cœur de la foule, en redemandent !
(coucou Balades Sonores)
Mais lorsque nous nous approchons de NAO et de ses potes, nous freinons sur son incompréhensible égocentrisme (« Merci Paris d’être venu me voir »). L’heure pour nous d’aller chercher une bière probablement, de sortir fumer, de checker la fréquentation du food court, d’observer les gamineries à la balançoire à l’étage… Bref n’importe quoi, mais surtout, ne pas s’infliger cet énième set ignoble. J’ai des amis qui y sont restés pour une chance d’être devant aux concerts suivants, et je leur voue toute mon admiration.
Nous traînons donc assez péniblement notre carcasse devant FATHER JOHN MISTY, et y retrouvons le sourire. La classe, toujours. Vas-y que je me jette par terre, que je communie avec mes groupies ! Un brin cabotin, El Padre enchante son monde comme à son accoutumée, et rien que ce spectacle nous fait frémir de bien-être.
Lui aussi masqué façon fête des morts, tout du moins au début de son set et avant de tomber la veste, Ruban Nielson s’arroge la palme du set hypnotique. Tout du moins vécue de près, la prestation de UNKNOWN MORTAL ORCHESTRA à ce Pitchfork dégage une véritable aura de « Depression Funk », ainsi que le groupe le suggère fièrement. Constamment hésitant entre le bootyshake et un psyché tortueux, on absorbe chaque minute comme un cadeau des américains de Portland.
Changement de scène, direction East Coast avec le gros rap à flots un peu vulgos de RUN THE JEWELS. Énorme claque joviale à base de « FUCKING BASTARD FUCK DAT SHIT ALRIGHT FUCK IT PARIIIIIIS », il faut reconnaître que l’ensemble dénote quelque peu dans le running order de cette ultime soirée….
Car nous étions plutôt venus pour la transcendance sur SPIRITUALIZED que pour l’attente interminable qui l’a précédée. Le slot s’est révélé bien trop court ; peut-être au même titre que DEERHUNTER avant eux, les anglais n’ont pas dû sentir l’occasion de livrer une fournée extraordinaire. Un chœur de deux chanteuses ensorceleuses, un clavier hypnotique, un duo basse/batterie fonctionnant à la perfection, des guitares superbes, le tout au service de morceaux éblouissants ; une lumière bien dosée, l’acoustique agréable… que manquait-il ? La chaleur, l’envie, la proximité ; c’en est vraiment frustrant. Et puis la durée, bien sûr. Si la setlist attrapée par une jeune fille hargneuse à la fin indique bien 9 titres, nous avons dû gravir un seul morceau en forme de rêve multidimensionnel, flou et brutalement achevé, dont Jason Pierce semblait le maître.
La désillusion plantée dans le cœur, RATATAT nous appelle au fond de la salle, mais il est déjà trop tard pour nous, une clôture de festival sur un certes joyeux mais trop convenu enchaînement d’electro ne nous parle guère. De la même sorte qu’à la Route du Rock 2015, dont ce Pitchfork a d’ailleurs pompé pas mal de noms, le duo new-yorkais s’est apprécié de loin sous les lasers, avec une enceinte un peu morte et des écrans abstraits assez jolis.
Difficile pour nous de conclure sur une note positive alors que l’ensemble de cette édition n’a même pas su trouver son salut dans une programmation pointue. Entre une audience dense majoritairement détestable (fumeurs dans la salle, cogneurs bourrés, piétineurs sans vie) et un son inégal, s’il n’y avait eu quelques amis présents et des groupes excitants, qui d’ailleurs n’ont pas trouvé leur place ici, nous serions partis en courant. Il faut croire que Spin The Black Circle est plus rock’n’roll dans la grange que fashion dans le hangar…
Texte : © erisxnyx et Bastien Amelot pour STBC
Photos : © erisxnyx pour STBC et © Vincent Arbelet pour Pitchfork
Remerciements au Pitchfork Paris Festival